Sur le territoire de la Commune, nous pouvons recenser actuellement environ une vingtaine de fours à chaux répartis de la façon suivante :

• Genouillé 4 (en amont de la Fontaine)
• La Sepière 1
• La Trafigère 1

Vallée du Cibiou

• Chez Guinot 2
• Les Laurents 1
• La Chize 4
• Les Rechers 4

Certains paraissent bien conservés (Chez Guinot, Les Rechers). D’autres ont été en partie démolis ou endommagés parfois par des pilleurs de matériaux, récupérant les briques réfractaires sans autorisation, se rendant ainsi coupables de véritables vols avec effraction.

Les premiers fours à chaux ne seraient apparus dans notre commune qu’aux alentours de 1850. Aucun n’est signalé au début du 18ème siècle, un seul “chaulier” étant cité au recensement en 1851. La plupart furent construits entre 1870 et 1914. Nous rappelons que pour l’obtention de la chaux vive, il est nécessaire de porter les pierres calcaires à haute température (environ 1500°). On reconnaissait à ce produit de multiples vertus découvertes au cours des siècles :

• En agriculture la chaux étant une base, elle sert encore de nos jours à amender les terres acides. Elle allège les sols argileux qu’elle rend plus fertiles.
• En maçonnerie, autrefois, elle entrait dans la fabrication des mortiers rendant ainsi les murs plus étanches et plus isolants.
• Elle se révélait être un antiseptique efficace et on avait l’habitude de chauler les intérieurs des habitations, étables, écuries, etc…., cette pratique enrayant partiellement les grandes épidémies.

Les barres de calcaire jurassique (bathonnier et bajocien) affleurant dans les vallées de la commune, étant facilement exploitables, donnant une excellente chaux se commercialisant très bien, plusieurs familles se lancèrent dans cette petite industrie. Nous avons pu retrouver quelques noms de “chauliers” ou plus exactement chaufourniers propriétaires de fours.

• Baribeaux-LaCroix (Genouillé – La Trafigère)
• Saunier (Genouillé)
• Bazureau (Chez Texier – four à la Chize)
• Rivaud (La Chize)
• Bourliaud (Les Rechers)

La construction d’un four à chaux était soumise à enquête et décision municipale.

– Louis Bourliaud Chaufournier

Mesdames Rouffaud de Grondillé (Lizant) et Louise Texerault des Rechers se souviennent de leur grand-père Louis Bourliaud chaufournier. Il était né en 1870. Tout jeune, probablement dès l’âge de 12 ans, Louis “se gagea” chez Monsieur Bazureau habitant chez Texier et exploitant un four à chaux entre la Chize et les Rechers. Là, il apprit le métier de “chaulier”. Il se maria en 1893, puis quelque temps après, à la suite semble-t-il d’un différent avec son patron, il décida de s’installer à son compte. Avec ses maigres économies, il fit l’acquisition d”un petit terrain couvert de genêts et d’ajoncs, mais où la roche affleurait dans le coteau, près du pont, sur la route de Moutardon. Il se mit courageusement au travail. Entre 1895 et 1900, il ouvrit la carrière, se construisit sa maison (la ferme actuelle de Daniel Rouffaud) et édifia son premier four au pont des Rechers. Etant donné le succès de l’entreprise et le volume des demandes, Louis construisit un deuxième four attenant au premier (après 1900), puis un troisième après la première guerre mondiale sans doute en 1924. A cette époque, ses deux fils Louis Edouard et Pierre Hilaire participaient activement aux travaux. Les fours chauffaient à plein temps surtout au moment des “couvrailles” (labours d’automne) et au printemps. La famille Bourliaud livrait la chaux à la commande à l’aide de tombereaux dans les fermes de la commune et des environs, mais ses activités cessèrent vers 1930. Les fours furent loués à Monsieur David et s’éteignirent définitivement au début du deuxième conflit mondial, probablement en 1940. Ils appartiennent toujours aux petits enfants de Monsieur Louis Bourliaud, Monsieur et Madame Roger Rouffaud de Grondillé.

– Le dernier chaulier de la commune : Calixte Rivaud

Monsieur Edouard Rivaud construisit deux fours à chaux à la Chize (situés en dessous du village) vers 1900. Son fils Calixte, né en 1913 travailla longtemps avec son père. Il nous a livré des témoignages et renseignements précieux sur ce métier de chaulier aujourd’hui disparu :
“J’ai commencé ce travail avec mon père en 1934, après mon service militaire, j’avais alors 21 ans. Les fours ne se sont éteints définitivement qu’en 1949.

Les préparatifs de la chauffe
Nous abattions les pierres dans la carrière située près des fours. Nous nous servions de barres de fer, de dynamite et de pics et de marteaux coupants. Nous vendions les plus beaux moellons pour la construction aux maçons des environs. Le reste était débité en dalles vaguement carrées épaisses d’environ 5 cm et de 20 cm de côté destinées à la cuisson.
Comme combustible, nous employions de la houille concassée en petits morceaux : “les caillettes”. Ce charbon en provenance de la mine de Messeix (Puy Dôme) arrivait par wagons à la gare de Civray. Nous allions en prendre livraison à l’aide de notre camion automobile pouvant transporter cinq tonnes de matériaux. Nous commandions parfois du charbon anglais, mais celui-ci ne nous donnait pas toujours entière satisfaction.

Le chargement du four
A la base, dans l’ouverture, nous disposions des barres de fer en guise de grille. Je m’introduisais dans le four, j’entassais les branches et brindilles de deux fagots. Puis je commençais le véritable travail de chargement. A l’aide d’une “balance” (sorte de grue primitive en bois), ceux d’en haut descendaient des paniers de bois remplis alternativement de charbon ou de pierres. J’étendais une première couche de houille d’environ 7 à 8 cm d’épaisseur sur le bois des fagots, puis par-dessus, je disposais les dalles de pierre en les posant de chant, mais légèrement en oblique en vue d’obtenir une meilleure cuisson, ensuite je les saupoudrais de calcaire broyé pour obstruer les interstices afin d’éviter que le charbon de la couche supérieur ne coule entre. Et après, en alternance, une couche de houille, une couche de pierres, une couche de houille, une couche de pierres et ainsi de suite. Je montais petit à petit jusqu’à ce que le four soit plein jusqu’à la gueule. Cette opération menée rapidement durait environ une heure et demie.
Nous procédions à la mise à feu en enflammant le bois des fagots. Toutes les couches de charbon s’embrasaient les unes après les autres et la chaleur devenait intense. Il fallait compter une soixantaine d’heures pour obtenir une cuisson complète, c’est-à-dire à peu près 3 nuits et deux jours ou bien 3 jours et deux nuits. Le dernier jour, en raison de la combustion du charbon, un vide se produisait au niveau supérieur du four et nous devions le combler en ajoutant quelques couches de caillettes et de pierres qui cuisaient à leur tour, la chaleur étant encore suffisante. Cela augmentait le rendement. Chaque fournée produisait à peu près 5 ou 7 tonnes de chaux selon le four que nous enlevions à la pelle lorsqu’elle s’était suffisamment refroidie au fur et à mesure qu’elle s’écoulait.
Nous mesurions les quantités à livrer, notre unité de volume étant la barrique. Nous possédions une sorte de brouette fabriquée spécialement pour cette mesure et nous avions dressé le tableau d’équivalence suivant :

• 2 brouettées = une barrique = 200 litres
• 1 brouettée = une demi-barrique = 100 litres
• 10 brouettées = cinq barriques = 1 mètre cube = 7 quintaux
• 14 brouettées = 7 barriques = une tonne.

Je ne me souviens plus des prix pratiqués, les cahiers de comptes ayant été égarés, mais ils fluctuaient, selon les lois du marché.
Ajoutons, que très souvent nous rechargions le four alors qu’il était encore chaud.
C’était toujours moi qui redescendais dedans et je ne pouvais respirer qu’avec peine tant la chaleur m’oppressait. Puis, une nouvelle chauffe étant lancée, nous partions dans la campagne livrer la chaux surtout dans les fermes des environs de Châtain, Pleuville, Charroux et Mauprévoir.

Nous travaillions trois hommes en permanence : mon père, un ouvrier et moi. Jean Florent habitant maintenant la commune de Benest travailla avec nous dans sa jeunesse. Lors du chargement des fours, nous employions deux personnes supplémentaires, souvent des femmes de la famille ou du voisinage qui devaient remplir les paniers de pierres ou de charbon.

L’été, les demandes étant pratiquement nulles, nous avions une toute autre activité : nous allions battre le grain dans les fermes, mon père ayant acheté une batteuse. Ce métier de “chaulier” bien qu’étant pénible me plaisait assez. Les deux fours appartenant actuellement à ma soeur ont été endommagés par des pilleurs inconnus venus récupérer les briques et cela me peine énormément”. Evidemment, Monsieur Rivaud évoque le temps de sa jeunesse avec nostalgie.

En raison de la concurrence de la chaux industrielle et de l’apparition de nouveaux amendements calcaires (la dolomie) l’activité des chaufourniers cessa dans nos campagnes au cours des années quarante. Tous ces fours à chaux, en partie ruinés pour la plupart ou assez bien conservés pour quelques uns témoignent encore d’une activité ayant marqué la vie de notre commune durant plus d’un siècle.